Invité en résidence à l’Alliance Française de Cuba dans le cadre des festivités du Mois de la Francophonie organisées entre La Havane et Santiago de Cuba, l’artiste et auteur français, Frédéric Dumond questionne les rapports entre monde et langages, la langue dans l’ensemble de ses dimensions et de ses expressions, les langages comme expérience de l’autre. Son travail se situe dans le domaine de l’art contemporain, de la poésie et de la polyécriture, en utilisant des méthodes de l’anthropologie et de la linguistique.
L’écriture est le fondement de chacune de ses œuvres et de ses interventions. Des premières années, où il interrogeait le potentiel littéraire de la réalité telle qu’elle se présentait aux projets les plus récents où c’est le pouvoir du langage qui agit dans sa dimension incantatoire, Frédéric Dumond explore une intelligence du sensible à travers le langage et sa logique, abordant la question des relations entre ce qui est perçu et ce qui est dit ou représenté.
Il interroge les relations entre le monde et le langage, convoque une diversité de médias, les fusionne et les entrelace dans des dispositifs qui défient les notions de processus et de signification. Son travail aspire à être un témoignage de la fragilité de certaines langues, dont beaucoup risquent de disparaître, ce qui incite à réfléchir aux questions interconnectées de territoire, de domination, de colonisation, de frontières et de migration.
Au cours du mois de mars, l’artiste a présenté quelques-unes de ses œuvres majeures lors d’une exposition intitulée « La langue comme territoire » accompagnée de sa performance glossolalie, épopée poétique et plastique, explorant un archipel de formes émergeant successivement dans différentes langues à partir d’un poème-noyau en perpétuelle transformation. Ce poème, composé dans plusieurs langues minoritaires du globe, se construit au fil de sa transition.
La langue française existe en présence de toutes les langues du monde comme le disait Édouard Glissant, « la langue comme territoire » présente une série multiple des travaux de l’artiste sur papier, de photographies, de livres et de vidéos, toutes autour de la question du langage comme une formalisation fragile des relations qu’entretient l’être humain avec le monde visible et invisible.
Le projet « Ontologie » est une série de dessins numériques qui illustre la géographie du processus de création d’un poème en une multitude de langues. Ces dessins traversent le turc, l’arawak (langue amérindienne d’Amérique du Sud et des Antilles), le lingala (langue bantoue parlée en République démocratique du Congo), le gaulois, le bourouchaski (langue parlée au nord du Pakistan) et le qikiktaaluq (dialecte inuktitut parlé au sud de la presqu’île de Baffin au Canada). Le projet « Erre, cosmographies », se présente comme un livre en deux éditions comprenant un recueil de 71 poèmes en 71 langues minoritaires du monde. Le projet « Unventer », sous forme d’un leporello, réunit un long poème de réflexion contextuelle sur les langues autochtones et dominantes, rédigé lors du tour du monde de l’artiste en cargo. L’œuvre « Langmerlangper » est une interprétation fictive de ce que pourrait être l’une des premières langues de l’humanité, représentée par des signes gravés sur un tronc de bois découvert dans une tourbière en Suisse. « Moment Saramaka » est une vidéo qui présente le processus de création d’un poème dans la langue Saramaka, issue de la communauté Bushinengue en Guyane française. Enfin, le « Kjrr shdrr, une langue retrouvée », est un petit précis imaginaire de la culture et du langage « Kjarrek », langue inconnue du Caucase, découverte pour la première fois par un chercheur soviétique et réinterprété par l’artiste.
Frédéric Dumond a également animé un atelier de création de langues et d’alphabets, auquel ont participé les étudiants de la faculté des langues étrangères de l’Université de La Havane et de l’Alliance Française. Par la suite, il a présenté sa performance « Kjrr shdrr » sur la culture Kjarrek à ce même public.
En fin de séjour, l’artiste s’est rendu à Santiago de Cuba pour rencontrer les étudiants de l’Alliance Française et le public santiaguero. Ce périple lui a également permis de partir à la découverte de la communauté taino à Manuel Tames, une municipalité de Guantánamo, en vue d’une future résidence de création dédiée à cette culture aujourd’hui presque disparue à Cuba.
Alexandre Guillochon, directeur, Alliance Française de Cuba