Pour l’intellectuel et homme d’État sénégalais Léopold Sédar Senghor, la situation était simple : il fallait comprendre que les mots seuls ne suffisaient pas et que des actions concrètes étaient nécessaires. Il fallait des gestes d’unification, de mélange et d’unité face à la fragmentation. Paradoxalement, c’est le processus de décolonisation en Afrique et en Asie qui a permis à la francophonie d’émerger comme une nouvelle réalité. Cette évolution va bien au-delà de l’adoption du français comme langue officielle ; elle intègre également les langues maternelles des peuples ayant retrouvé leur liberté. Ainsi, la francophonie se dévoile comme un portail ouvert au dialogue entre diverses cultures et modes de vie.
En 1969, lors de la Conférence de Niamey, au Niger, les présidents Léopold Sédar Senghor du Sénégal, Hamani Diori du Niger, Habib Bourguiba de Tunisie, Norodom Sihanouk du Cambodge, ainsi qu’André Malraux, alors ministre de la Culture, se sont réunis avec l’idée de créer une communauté internationale fondée sur la langue, aboutissant en 1970 à la création de l’Agence de Coopération culturelle et Technique.
En envisageant la francophonie comme une métaphore culturelle, dérivant d’un arbre dont la racine est la langue française, elle apparaît comme un ensemble d’identités avec des valeurs propres, même si parfois contradictoires. Il est intéressant de constater comment le concept humaniste de la francophonie cherche à dépasser ses frontières linguistiques et politiques pour devenir une expression des valeurs universelles et des diverses identités socioculturelles des groupes qui la composent.
Aujourd’hui, alors que la langue est une réalité vivante qui évolue avec l’expérience collective de ses locuteurs, l’usage d’une même langue ne signifie pas nécessairement une similitude d’identités. Il est préférable de la considérer comme une vaste toile ouverte au dialogue et aux rencontres les plus diverses. Ainsi, le programme cubain du Mois de la Francophonie 2024 se distingue par la pluralité de ses offres, visant tant des publics spécifiques que le grand public cubain.
L’édition 2024 s’est déployée du 3 au 28 mars en collaboration avec les ambassades d’une dizaine de pays francophones et les autorités culturelles du pays ; le Ministère de la Culture et ses instituts, la « Oficina del Historiador », ses musées et centres culturels, la Faculté des Langues Étrangères de l’Université de La Havane et l’Institut Supérieur des Relations internationales. Elle a offert des concerts, des conférences, des expositions, des performances, des débats d’idées, des cabarets poétiques, des rencontres et des forums thématiques, répartis
sur toute la capitale et jusqu’à Santiago de Cuba, une programmation réussie à la faveur d’une coopération culturelle généreuse et engagée.
Les festivités ont débuté par le concert de la chanteuse et compositrice Afra Kane, dans la salle de théâtre du Musée National des Beaux-Arts, accompagnée d’une pléiade de jeunes créateurs et de musiciens confirmés cubains du « Fondo de Arte Joven » de l’ambassade de Suisse. Le haut fonctionnaire français Xavier North, délégué général pendant de nombreuses années à la langue française et aux langues de France, a présenté son travail de curateur scientifique de l’exposition permanente de la Cité Internationale de la Langue Française à Villers-Cotterêts, qui accueillera le 4 octobre prochain le 19e Sommet de la Francophonie. Frédéric Dumond, artiste pluridisciplinaire mêlant art contemporain et poésie, qui utilise l’anthropologie et la linguistique pour questionner les relations entre le monde et le langage, a proposé diverses performances, des expositions photographiques et de sérigraphies, des récitals poétiques et des ateliers de création d’alphabets. L’extraordinaire exposition « Entre les genres et les mondes, Enriqueta Favez » a voyagé jusqu’à Santiago de Cuba. Des concours d’illustrations pour enfants, des expositions de bandes dessinées belges et québécoises, ainsi que des textes francophones qui ont été partagés avec des créateurs cubains et le large public.
Du rendez-vous poétique d’Alex Pauside et de ses invités poètes, à la musique d’Eme Alfonso, de Mario Rivera et des étudiants de l’École Nationale d’Art accompagnés de leurs collègues Canadiens, de la « Fabrica de Arte Cubano » à la « Casa Víctor Hugo », du centre culturel « Dulce María Loyna » à la « Vitrina de Valonia », du musée « Napoléonico » à la Basilique « San Francisco de Asís »; des salons de l’Alliance Française du Palais du Prado et de ses sites Jean-Paul Sartre et Carlos Finlay du Vedado et jusqu’à la « Casa Dranguet » de Santiago de Cuba, le mois de mars 2024 s’est converti en un vaste centre de confluences pour montrer que « la Francophonie, c’est cet humanisme intégral qui se tisse autour du monde. »
Noel Bonilla-Chongo, directeur culturel, Alliance Française de Cuba