Lorsqu’il faut rester à la maison et oublier par la force des choses les lieux de culture – par obligation et non par goût – la technologie contemporaine devient une solution et le réseau Internet rouvre les portes des productions déclarées inaccessibles. À l’Alliance Française d’Assomption, face au défi inaccoutumé et à la fermeture incontournable de son théâtre “La Salle Molière”, est née l’idée d’offrir aux Paraguayens un outil nouveau de diffusion pour le public fidèle, mais destiné cette fois à la totalité du territoire national, voire aux intéressés du monde entier.
Soutenu dans sa démarche par la délégation européenne et l’ambassade de France, le financement de la plateforme a été assuré grâce à la réunion de bonnes volontés diverses. Le projet est en soi synonyme de regroupement de divers talents unis pour atteindre des objectifs précis et sans le moindre doute ambitieux… Aussi pour toutes les actions nécessitant la présence d’un public, une filmation de l’exercice est indispensable… Mentionnons le cas d’une pièce de théâtre, d’un concert, d’une conférence, d’une visite guidée, d’une exposition etc…
Dans ces circonstances particulières, s’est uni au projet Juan José Pereira, Prix Lumière 2018 du Paraguay, lequel a bénéficié d’une formation à la Fémis de Paris suite à son succès au concours cité, pour filmer les événements programmés dans les règles de l’art et offrir au public une très belle qualité d’image.
Le document obtenu est alors remis à Ariel Martinez d’Actimedia/Paraguay qui est le concepteur de l’outil en question et qui alimente la plateforme au fur et à mesure de l’élaboration des oeuvres. La coordination des différentes étapes intervenant dans la génèse des projets est sous la responsabilité de Marta Caceres, coordinatrice culturelle de l’Alliance. Tous ces jeunes talents ont accepté ces challenges, conscients de la dimension sociale de l’expérience à mener. Il s’agit de venir en aide aux artistes, limités dans leurs actions durant cette période néfaste et demeurant localement pour la plupart sans la moindre ressource. L’engagement de l’Alliance est de reverser 90 % des gains obtenus grâce aux encaissements demandés pour accéder aux présentations payantes par carte bancaire, et de ne garder que 10 % pour l’entretien et le fonctionnement de ce dispositif.
La philosophie du projet et son objectif essentiel est bel et bien celui de soutenir la création et de mettre fin à la fracture catégorique imposée par les mesures sanitaires depuis le début de la pandémie en mars 2020.
La plateforme est ainsi ouverte à tous les centres culturels du Paraguay désireux de promouvoir leurs actions et de permettre ainsi aux créateurs de pouvoir exister durant le confinement. Il demeure évident que son rôle et sa fonction survivront aux temps maudits et que cet accès virtuel à la culture est désormais un acquis pour l’avenir. Son nom est d’ailleurs très accrocheur pour les Paraguayens puisqu’il signifie “Allons voir” en guaraní. “Jahecha” a donc la prétention de se constituer en base de données de la réalisation locale et véritable source d’archives numérisées. L’accumulation des oeuvres présentées sera disponible dans un avenir illimité donnant ainsi un aperçu de l’inventivité nationale.
En un mois, la plateforme a connu plus de 2 500 visites, et un succès avéré a été remporté par les films français présentés en juillet durant le mois de la France au Paraguay.
Enfin, grâce à son existence, la plateforme facilite encore davantage la coopération régionale et permet à nos attachés de coopération de Buenos Aires de fournir des concerts et documentaires pour le public paraguayen.
L’Alliance Française a promu par son intermédiaire une exposition de photos proposant un regard sur le “caractère afro” de la population. Le photographe Jesus Ruiz Diaz concernant le projet s’est ainsi exprimé : ”L’idée est d’exposer par l’intermédiaire de “Jahecha” des portraits faisant référence à la lutte contre le racisme. De là est née la volonté de visiter les afro-descendants dans le pays et de mieux connaître leur histoire. Finalement, nous avons décidé de donner vie à une exposition réunissant la photographie et le documentaire, en fusionnant l’image avec le son (les textes sont en guaraní!) avec la collaboration de l’anthropologue Rodrigo Villagra pour les commentaires.
Le titre choisi est “L’ADN n’a pas de couleur”, suite au travail de Nancy Burson, artiste new-yorkaise qui a beaucoup influencé ma carrière artistique. Le travail a duré plus de 40 jours, et l’expérience a été très enrichissante tant sur le plan personnel et professionnel.”
La dimension anthropologique est aussi très présente dans l’oeuvre achevée. Rodrigo Villagra qui a beaucoup travaillé le droit des peuples indigènes et qui témoigne d’une sincère amitié avec le photographe a commenté l’expérience : “Jesus Ruis Diaz m’a parlé de la possibilité de cette exposition et m’a invité à voyager en sa compagnie pour visiter les communautés afro de Kamba Kua, Kamba Kokue de Paraguari et d’Emboscada. J’ai pu coïncider avec ma famille à Kamba Kua à l’occasion d’une rétrospective en ligne qui était en préparation concernant leurs danses. En qualité d’invités et d’amis de Jesus Ruiz Diaz, nous avons été très bien accueillis et nous avons pu apprécier le spectacle. J’ai pu échanger avec les gens dont le portrait est maintenant exposé.
Jesus Ruiz m’a exhorté à écrire un texte et j’ai craint d’entrer dans un sujet peu étudié jusqu’à présent en ce qui me concerne et en général aussi, parce que peu de chercheurs se sont consacrés à ce thème. L’expérience se résume à un véritable apprentissage, en partant des idées proposées par Jesus Ruiz et de son autre ami Juanjo (Juan José Pereira) directeur de la production, nous avons décidé d’inclure les extraits des interviews orales pour accompagner les photos.
Pour y parvenir, nous avons pu compter sur l’aimable collaboration de Gregorio Gomez, un collègue qui dominait parfaitement la langue locale, et qui est aussi un paysan-poète autodidacte de grande valeur. J’ai pu consulter avec d’autres amis et d’autres connaissances une bibliographie dont je ne disposais pas à l’origine, et tous m’ont aidé en me donnant beaucoup d’informations et de suggestions. Le résultat est donc là, soumis à l’oeil du public ! Ce fut une belle expérience, en partie spontanée dont l’essentiel ( le “karaku” en guaraní, ce qui signifie moelle osseuse) est la fusion entre la photo et la voix. J’espère que ce travail plaira et en particulier aux gens de Kamba Kua et de Kamba Kokue qui ont donné de leur personne et de leur joie de vivre à tout le projet.”
Jahecha est donc alimentée par les créateurs jeunes et aussi plus confirmés du Paraguay pour apporter en cette période une solution, et constitue un espace d’expression. Le plus important est d’être en soi un instrument facile à gérer, disponible et ouvert à tous les artisans de la culture, à tous les centres culturels paraguayens qui ont le désir de poursuivre leur mission et de laisser une preuve de leurs activités en cette période contraignante. Jahecha vient de naître, et le succès semble d’ores et déjà au rendez-vous.
Dominique Scroby, directeur, Alliance Française d’Assomption