Durant ces six derniers mois, et dans ce nouveau contexte, l’Alliance Française de Querétaro a pu expérimenter et évaluer des pistes concrètes d’évolution possible en termes d’activités et de missions, prenant en compte le caractère positif d’opportunités que la crise actuelle induit. Ce fut aussi une manière pour l’Alliance Française de se positionner, par le renforcement de nouvelles pratiques, comme un laboratoire d’expériences et d’innovation.
Aussi, si nous devons tirer quelque enseignement des efforts que nous avons mobilisés pour nous renouveler, deux grandes tendances émergent des projets initiés : en imaginant des formes variées de valorisation et d’animation destinées aux apprenants, professeurs, publics et partenaires, nous avons fait le pari de faire vivre différemment la communauté Alliance Française, et par le prisme de projets artistiques ou pédagogiques, nous avons tenté de travailler, encore plus, en réseau.
AR XUDI : Nouvelles d’un futur probable
À l’urgence d’une gestion à court et moyen terme, pour garantir le maintien des activités pédagogiques et culturelles ainsi que minimiser les risques financiers, s’est ajoutée très rapidement la nécessité de conduire une réflexion plus large et prospective sur le devenir des Alliances Françaises, et plus largement sur la question de l’influence et de la place du français et de la culture française dans le monde. Ainsi, dès le mois d’avril, nous avons lancé une invitation à plusieurs directeurs d’Alliances Françaises dans le monde pour participer à un projet d’écriture.
Celui-ci, consistant à écrire une fiction née d’une rencontre entre un auteur et un directeur d’Alliance Française, visait à construire des imaginaires de fiction en offrant des perspectives sinon optimistes du moins constructives pour penser l’avenir.
Il s’agissait ici de se donner le temps et de s’essayer, par le biais de la fiction, à faire un pas de côté. Ni catastrophiste, ni idéaliste, chaque fiction devait s’appuyer sur le genre utopique et venir alimenter des pistes de réflexion sur le monde qui vient – c’est-à-dire la perception du monde d’après la crise sanitaire par les auteurs, et sur ce à quoi pourraient ressembler les Alliances Françaises – c’est-à-dire la vision de ses directeurs.
Objectifs et motivations des apprenants, modes d’apprentissage, nouvelles formes de mobilités, rôle et place du français sur le territoire concerné et dans les différentes sphères de la société, nouveaux enjeux de l’interculturalité sont autant de questions qui animeront dans les années à venir l’ensemble de la vaste communauté œuvrant pour la diffusion de la langue et la culture française et francophone.
Ce qui est raconté, dit, se situe sur le territoire de l’Alliance Française concernée, dans un futur plus ou moins proche : 1, 5 ou 10 ans, temporalité qui peut rendre palpable et perceptible des pistes d’évolution, de travail à engager.
La diversité des fictions, tant sur la forme que sur le fond, offre une cartographie volontairement incomplète de futurs à imaginer, de nouvelles connexions à tisser.
Six Alliances Françaises ont participé à ce beau projet, sous l’impulsion de leurs directeurs ou directrices : Bahrain (Saïd Nourine), Bordeaux (Cécile Delaunay), Busan (Martin Beyer), Padoue (Magali Boureux), Safi (Mégane Moulin) et évidemment Querétaro.
Comme il s’agissait bien évidemment d’une proposition très libre, chaque duo s’est emparé, à sa manière, des quelques règles énoncées dans un cahier des charges initial, prenant parfois quelque liberté sur le format, voire s’en affranchissant complètement.
Pour Bahrain, Bruno Lemoine dans Loving 2 nous offre une nouvelle d’anticipation sur le modèle de la mythographie, qui nous transporte dans un futur très lointain, dans 4 000 ans. Dans Oscar et douce pluie, Valérie Saubade, auteure et professeurs à l’Alliance de Bordeaux, nous raconte les prémisses d’une histoire d’amour en classe de FLE, où l’interculturel côtoie gestes barrières et nouvelles plateformes d’apprentissage. À Busan, Martin Beyer a fait le choix d’une écriture à quatre mains avec Kang Youngjoo, présidente de l’Alliance, et nous transporte, dans Qui aurait imaginé ?, au 26 août 2030, date du 50e anniversaire de l’Alliance de Busan. Dans Les amants du jardin, Ilaria Gaspari, philosophe italienne, offre une plongée poétique à Padoue, entre évocation botanique et subtilités de la langue française. Utopia 2.0 est une nouvelle de Nadia Ayoub, une histoire de femme(s), traversée par la solidarité et l’inventivité en temps de crise, à Safi au Maroc. Enfin, Frédéric Dumond, artiste associé à l’Alliance de Querétaro, dans le cadre d’une résidence longue autour des langues, imagine, avec la nouvelle intitulée Ile, des lendemains plus résiliants, où la richesse des langues et des cultures locales sera la clé pour écrire « tant de façons de vivre et d’être ensemble ».
Ces six nouvelles font donc l’objet d’une édition digitale, publiée le 4 septembre dernier et accessible gratuitement via notre site internet. Un objet éditorial singulier et généreux, donnant à voir et à lire un demain possible.
D’autres pistes sont d’ores et déjà envisagées ou envisageables : la mise en place d’ateliers d’écriture, en présentiel ou distanciel (accompagnés de supports pédagogiques dédiés pour les Alliances Françaises intéressées) et, pourquoi pas, le lancement d’une édition augmentable, via un appel à participation ouvert à l’ensemble des Alliances Françaises, et Instituts Français, et aux divers profils des membres de ses institutions (présidents, directeurs pédagogique ou culturel, professeurs, bibliothécaires etc.).
Bergson disait : “L’idée de l’avenir est plus féconde que l’avenir lui-même”. Ce recueil en est une belle démonstration.
Yann Lapoire, directeur, Alliance Française de Querétaro