Durant ces six derniers mois, et dans ce nouveau contexte, l’Alliance Française de Querétaro a pu expérimenter et évaluer des pistes concrètes d’évolution possible en termes d’activités et de missions, prenant en compte le caractère positif d’opportunités que la crise actuelle induit. Ce fut aussi une manière pour l’Alliance Française de se positionner, par le renforcement de nouvelles pratiques, comme un laboratoire d’expériences et d’innovation.
Aussi, si nous devons tirer quelque enseignement des efforts que nous avons mobilisé pour nous renouveler, deux grandes tendances émergent des projets initiés : en imaginant des formes variées de valorisation et d’animation destinées aux apprenants, professeurs, publics et partenaires, nous avons fait le pari de faire vivre différemment la communauté Alliance Française, et par le prisme de projets artistiques ou pédagogiques, nous avons tenté de travailler, encore plus, en réseau.
Retour d’expériences, à travers deux exemples.
EN CUISINE : UN NOUVEAU DÉFI INTER-AF
Fort du succès du défi culturel proposé en collaboration avec l’Alliance Française de Cuenca en mai dernier (cf. Fil d’Alliances n°52, p.49), l’Alliance Française de Querétaro a décidé de proposer un autre événement du même type, à plus grande échelle à la fin de l’été.
En cuisine a été pensé comme une compétition linguistico-culinaire entre apprenants de différentes Alliances Françaises d’Amérique Centrale et du Sud. Six Alliances ont répondu favorablement à l’appel : Saint- Domingue (République Dominicaine), Tegucigalpa (Honduras), Antigua (Guatemala), San José (Costa Rica), Cali (Colombie) et Caracas (Vénézuela).
Le principe était simple : chaque Alliance devait proposer un candidat pour présenter, lors d’une compétition diffusée en direct sur les réseaux sociaux, une recette de son pays, en français. Le candidat disposait de 6 à 7 minutes pour détailler son plat et pouvait illustrer ses propos en montrant les ingrédients et ustensiles utilisés. L’objectif n’étant pas de cuisiner la recette, mais bien de la présenter correctement en français.
Pour choisir son candidat, chaque Alliance avait la possibilité d’organiser en amont, afin d’animer sa propre communauté d’apprenants, des phases de présélections, selon ses propres critères. Un quizz de culture culinaire était néanmoins proposé en support, mais certaines AF ont fait le choix de proposer d’autres formats de présélections, notamment à travers les réseaux sociaux.
La grande finale a eu lieu le 22 août en direct sur les réseaux sociaux.
La prestation de tous les candidats a été impressionnante et a offert un bel échantillon de la cuisine latino-américaine. Tous ces élèves, d’un niveau allant de A2 à B2, se sont révélés très motivés, avec un bon niveau de français et beaucoup de créativité. Nicolas Bouchaud, coordinateur pédagogique à Quito, et François Dumiot, directeur à Caracas, qui nous ont fait l’amitié d’êtres membres du jury, ont dû départager, non sans difficulté, les candidats. Et c’est Stefania Pamo, élève à l’AF de Cali qui a remporté la première place et Carlos Flores, de l’AF de Saint-Domingue, qui la décroché la deuxième. Les deux gagnants se sont vus remettre un lot par leur Alliance.
Le bilan de cette opération est très positif et confirme les premières conclusions que nous avions tiré de l’expérience Cuenca/Querétaro.
Plus de 3500 vues de la compétition sur Facebook sur le seul week end, de nombreux spectateurs en direct et des commentaires enthousiastes, et surtout une vraie bonne humeur partagée qui a créé du lien non seulement entre apprenants, mais aussi entre nous, collègues des Alliances. Enfin, le bon niveau de français de chacun des candidats est un très bon outil pour promouvoir la qualité des cours de nos établissements.
L’événement doit donc sa réussite à la belle dynamique collective entre toutes les Alliances et l’implication des équipes – il faut remercier pour cela les directeurs, coordinateurs culture, communication et pédagogie – ainsi qu’à l’engagement des professeurs qui ont animé dans leurs classes les phases de présélections, voire accompagner, pour certains, le candidat en lice, dans sa préparation. Une preuve supplémentaire que travailler en réseau est essentiel.
AR XUDI : NOUVELLES D’UN FUTUR PROBABLE
A l’urgence d’une gestion à court et moyen terme, pour garantir le maintien des activités pédagogiques et culturelles ainsi que minimiser les risques financiers, s’est ajoutée très rapidement la nécessité de conduire une réflexion plus large et prospective sur le devenir des Alliances Françaises, et plus largement sur la question de l’influence et de la place du français et de la culture française dans le monde.
Ainsi, dès le mois d’avril, nous avons lancé une invitation à plusieurs directeurs d’Alliances Françaises dans le monde pour participer à un projet d’écriture.
Celui-ci, consistant à écrire une fiction née d’une rencontre entre un auteur et un directeur d’Alliance Française, visait à construire des imaginaires de fiction en offrant des perspectives sinon optimistes du moins constructives pour penser l’avenir.
Il s’agissait ici de se donner le temps et de s’essayer, par le biais de la fiction, à faire un pas de côté. Ni catastrophiste ni idéaliste, chaque fiction devait s’appuyer sur le genre utopique et venir alimenter des pistes de réflexion sur le monde qui vient – c’est-à-dire la perception du monde d’après la crise sanitaire par les auteurs, et sur ce à quoi pourraient ressembler les Alliances Françaises – c’est-à-dire la vision de ses directeurs.
Objectifs et motivations des apprenants, modes d’apprentissage, nouvelles formes de mobilités, rôle et place du français sur le territoire concerné et dans les différentes sphères de la société, nouveaux enjeux de l’interculturalité sont autant de questions qui animeront dans les années à venir l’ensemble de la vaste communauté œuvrant pour la diffusion de la langue et la culture française et francophone.
Ce qui est raconté, dit, se situe sur le territoire de l’Alliance Française concernée, dans un futur plus ou moins proche : 1, 5 ou 10 ans, temporalité qui peut rendre palpable et perceptible des pistes d’évolution, de travail à engager.
La diversité des fictions, tant sur la forme que sur le fond, offre une cartographie volontairement incomplète de futurs à imaginer, de nouvelles connexions à tisser.
Six Alliances Françaises ont participé à ce beau projet, sous l’impulsion de leurs directeurs ou directrices : Bahreïn (Saïd Nourine), Bordeaux (Cécile Delaunay), Busan (Martin Beyer), Padoue (Magali Boureux), Safi (Mégane Moulin) et évidemment Querétaro.
Comme il s’agissait bien évidemment d’une proposition très libre, chaque duo s’est emparé, à sa manière, des quelques règles énoncées dans un cahier des charges initial, prenant parfois quelque liberté sur le format, voire s’en affranchissant complètement.
Pour Bahrein, Bruno Lemoine dans Loving 2 nous offre une nouvelle d’anticipation sur le modèle de la mythographie, qui nous transporte dans un futur très lointain, dans 4000 ans. Dans Oscar et douce pluie, Valérie Saubade, auteure et professeurs à l’AF de Bordeaux, nous raconte les prémisses d’une histoire d’amour en classe de FLE, où l’interculturel côtoie gestes barrières et nouvelles plateformes d’apprentissage. A Busan, Martin Beyer a fait le choix d’une écriture à quatre mains avec Kang Youngjoo, présidente de l’Alliance, et nous transporte, dans Qui aurait imaginé ?, au 26 août 2030, date du 50ème anniversaire de l’AF de Busan. Dans Les amants du jardin, Ilaria Gaspari, philosophe italienne, nous offre une plongée poétique à Padoue, entre évocation botanique et subtilités de la langue française. Utopia 2.0 est une nouvelle de Nadia Ayoub, une histoire de femme(s), traversée par la solidarité et l’inventivité en temps de crise, à Safi au Maroc. Enfin, Frédéric Dumond, artiste associé à l’AF de Querétaro, dans le cadre d’une résidence longue autour des langues, imagine, avec la nouvelle intitulée Ile, des lendemains plus résiliants, où la richesse des langues et des cultures locales sera la clé pour écrire « tant de façons de vivre et d’être ensemble ».
Ces six nouvelles font donc l’objet d’une édition digitale, publiée le 4 septembre dernier et accessible gratuitement via notre site internet. Un objet éditorial singulier et généreux, donnant à voir et à lire un demain possible.
D’autres pistes sont d’ores et déjà envisagées ou envisageables : la mise en place d’ateliers d’écriture, en présentiel ou distanciel (accompagnés de supports pédagogiques dédiés pour les AF intéressées) et, pourquoi pas, le lancement d’une édition augmentable, via un appel à participation ouvert à l’ensemble des Alliances Françaises, et Instituts Français, et aux divers profils des membres de ses institutions (présidents, directeurs pédagogique ou culturel, professeurs, bibliothécaires etc.).
Bergson disait : “L’idée de l’avenir est plus féconde que l’avenir lui-même”. Ce recueil en est une belle démonstration.
Yann Lapoire, directeur, Alliance Français de Querétaro, Mexique