La XIIIe édition de la Biennale de la Havane s’est déroulée du 12 avril au 12 mai derniers. Grâce à l’appui de l’Institut français, du service culturel de l’ambassade de France et de l’Alliance Française à Cuba, le travail de 10 artistes français a pu être apprécié. Des rencontres entre professionnels et théoriciens de différentes disciplines liées à l’architecture en tant qu’outil permettant la conception d’une ville, ont également été organisées dans ce cadre.
L’édition 2019 de la Biennale de La Havane était très attendue et revêtait un caractère particulier. D’une part parce qu’elle était proposée l’année du 500e anniversaire de la fondation de La Havane et des commémorations des soixante ans de la révolution cubaine. D’autre part parce qu’elle était organisée dans un contexte politique tendu. Enfin, parce que les problèmes climatiques et leurs conséquences d’un point de vue économique et social avaient empêchés en 2017 la réalisation de la manifestation.
Il faut donc saluer le travail des organisateurs de cet événement de belle ampleur et de haute tenue, qui a réuni environ 80 artistes d’une cinquantaine de pays, et s’est accompagné d’un très beau catalogue couleur de 339 pages. Un effort considérable qui a permis de maintenir la manifestation, « contre vents et marées, d’où qu’ils viennent ».
Comme l’écrit Norma Rodriguez Derivet, Présidente du Comité organisateur : « La XIIIème Biennale de La Havane – nous devrions dire de Cuba, car celle-ci étend son champs d’action à d’autres provinces de l’île (Matanzas, Cienfuegos, Camagüey, et Pinar del Rio) – est un laboratoire de conscience réunissant des projets inédits, dialogiques et transdisciplinaires qui se nourrissent des différents champs de l’activité humaine ». Eclectique, multiculturelle et plurielle, populaire et participative, la Biennale s’adresse en effet à des publics les plus divers. Elle investit pour l’occasion deux grands espaces urbains de la capitale cubaine, l’avenue du Malecón en bordure de mer et du centre historique avec le projet Derrière le mur, et la rue Línea qui traverse sur trois kilomètres le quartier moderne du Vedado, formant un Couloir culturel des plus intéressants. La manifestation prit place également dans différents établissements du réseau culturel de la ville.
La France a été représentée par la franco-marocaine Leila Alaoui, le guadeloupéen Richard-Victor Sainsily Cayol, le duo franco-béninois Laeïla Adjovi – Loïc Hoquet, ainsi que par Ghazel, Théo Mercier, Yves Trémorin, Emmanuel Tussore, Laurent Grasso, Daniel Buren et JR. Nous présentons ici le travail de quelques-uns d’entre eux.
L’artiste Ghazel, qui vit entre Paris et Téhéran a montré dans son projet Dyslexia des cartes politiques imprimées en Iran et en Perse sur lesquelles elle créée de nouvelles et diverses géographies ; une manière de dénoncer les désastres provoqués par les guerres, la contamination de l’environnement et les exodes migratoires.
C’est la construction de l’identité, la diversité culturelle et la migration dans l’espace méditerranéen qu’explore dans son travail la franco-marocaine Leila Alaoui. Victime des attaques terroristes à Ouagadougou lors d’une mission pour Amnistie international pour la défense des droits des femmes au Burkina Faso, elle est morte le 18 janvier 2016. Son travail présenté à la Photothèque de Cuba et intitulé Les Marocains montre quelques-unes des facettes d’une œuvre remarquable libérée de tout folklore orientaliste et centrée sur la dignité des individus et d’un pays.
C’est également la notion de déplacement et le thème de la frontière que l’œuvre d’Emmanuel Tussore explore avec force. Dans City, l’artiste utilise le savon d’Alep matière organique fragile et malléable pour confectionner des centaines de sculptures qui figurent les ruines de monuments. Une évocation de la destruction générée par les guerres, de l’absence, de la perte, de l’exil tout autant qu’un questionnement sur les notions fondamentales de l’humanisme.
Le photographe français Yves Trémorin a, quant à lui, investit les espaces du Palais Gomez de l’Alliance Française de Prado pour présenter Soleils noirs, une œuvre créée en 2014 et enrichie pour l’occasion. Il s’agit de la projection d’électronogrammes en noir et blanc, d’images pensées comme des métaphores du monde d’aujourd’hui à la fois merveilleux dans sa construction-même et terrifiant dans ce qu’il représente de plus cruel et de plus barbare. Une sélection de photographies sur support imprimé, accompagnées de leur version numérique et proposées en projections audiovisuelles. Des fragments de corps d’insectes, coléoptères, abeilles, mouches, papillons et autres moustiques à la fois saisissants, sensuels et inquiétants.
Enfin, c’est une manière de « machine à démonter le temps » qu’a proposé Théo Mercier dans Ne me quitte pas. Investissant les espaces du Musée National des Arts décoratifs situé dans l’ancienne résidence de la comtesse María Luisa Gómez-Mena, l’artiste « contamine » en effet les riches collections de porcelaines fines et de meubles datant des siècles passés de cet ancien hôtel particulier en introduisant des crabes en bois, des œufs en marbre et autres objets disparates, fabriqués localement. Cet ancien pensionnaire de la villa Médicis, qui malgré son jeune âge, il n’a que 35 ans, a déjà à son actif une œuvre diversifiée et importante, fait dialoguer les objets et les époques, mêle le sacré et le profane, le factice et l’authentique, et introduit non sans malice un peu du Cuba d’aujourd’hui dans ce lieu qui n’a de cubain que le bois de ses portes.
Les artistes français, leurs collègues cubains et ceux venus d’autres pays ont permis de présenter un vaste et intéressant panorama de l’art contemporain. Ils ont par ailleurs affirmé, chacun à leur manière, leur volonté de croire en des mondes plus justes.
Art du possible ou des possibles où l’impossible ne serait autre comme l’évoque en substance Benjamin Arditi, que la promesse de quelque chose de différent et possiblement meilleur.
Marc Sagaert, directeur général de l’Alliance Française à Cuba
Mai 2019