Asie - Moyen Orient - Océanie

L’Australie, une autre patrie du cinéma français

Artice paru dans LE MONDE, par Annick Cojean (Sydney, envoyée spéciale), le 8 mars 2019 à 18h39

Le French Film Festival, le plus important festival du film français à l’étranger, organisé dans sept villes, fête ses 30 ans.

C’est le plus important festival du film français à l’étranger. Un festival étendu sur cinq semaines (5 mars-10 avril) et organisé simultanément dans les sept plus grandes villes du pays (Sydney, Melbourne, Brisbane, Perth, ­Adélaïde, Canberra, Hobart) avec programmation en rafale de 54 films français, assortie de débats, rencontres, ateliers, master class sans compter – France oblige − soirées « film + dégustation vin et fromage ». Un événement qui célèbre cette année son trentième anniversaire et entend bien battre le record d’affluence de 2018 (185 000 spectateurs), le ­festival s’installant comme le premier rendez-vous culturel d’automne (eh oui !, on est dans l’hémisphère sud et l’automne est arrivé le 1er mars). Presque une énigme dans un pays si vaste, situé à 16 000 kilomètres de la France, et à la culture historiquement anglo-saxonne. Mais voilà. L’Australie est francophile.

LES CHIFFRES MONTRENT QUE 1,2 MILLION D’AUSTRALIENS (SUR 25 MILLIONS) VISITENT LA FRANCE CHAQUE ANNÉE

Formidablement francophile même, si l’on en croit les chiffres qui montrent que 1,2 million d’Australiens (sur 25 millions) visitent la France chaque année ; que les Alliances françaises (qui organisent le festival avec l’ambassade de France et le soutien d’Unifrance) comptent plus de 11 000 élèves, et que les célébrations de la culture française (comme le festival consacré à la nouvelle vague de talents musicaux français So Frenchy So Chic) agissent comme un aimant. Le cinéma est donc un vecteur idéal pour retrouver une culture et des lieux fantasmés ou déjà visités (82 % des festivaliers sont déjà allés en France).

Les films mettant en scène Paris ou des lieux et régions exprimant l’art de vivre à la française bénéficient toujours d’un attrait considérable (le film de Cédric Klapisch Ce qui nous lie qui raconte une histoire de famille dans les vignobles de Bourgogne remplissait, en 2018, tous les critères). On va voir un film français pour voyager en France, « ça coûte moins cher qu’un billet d’avion », dit drôlement James Hewison, éminent spécialiste de cinéma qui dirigea longtemps le Festival international du film de Sydney. Mais ce n’est évidemment pas que cela ! s’empresse-t-il d’ajouter, lui qui rêve de secouer les clichés. Et si la francophilie mène au cinéma, l’inverse est également vrai.

« Tout nous intéresse »

« La love affair entre les Australiens et le cinéma français existe depuis la création du cinématographe, affirme David Stratton, qui fut sans doute le critique de cinéma le plus populaire du pays et qui parraine aujourd’hui le festival. Ses idées, ses techniques, ses modes de narration, sa sophistication, son anticonformisme, ses stars… Tout nous intéresse. On n’est pas pour autant anti-Américains. Mais on est pro-Français. Et cela a commencé dès les frères Lumière ! » Et de rappeler ­l’histoire de l’incroyable Marius Sestier, employé d’Auguste et de Louis Lumière, qui ouvrit en 1896, à Sydney, le premier cinéma d’Australie et réalisa, cette même année, le tout premier film australien. Ce lien, ancien, ne s’est pas démenti.

Et si le festival, lancé en 1989, a connu des heures ­diverses (la reprise des essais nucléaires par la France dans le Pacifique en 1995 a notamment provoqué une fâcherie entre les deux pays et l’interruption du festival – le Sydney Morning Herald avait même titré : « Pourquoi les Français sont des connards »), il a repris de plus belle, certains distributeurs, comme Antonio Zeccola, fondateur du réseau de cinémas Palace, s’étant fait un point d’honneur à continuer de projeter massivement des films français, et avec succès.

PHILIPPE PLATEL, DIRECTEUR DU FESTIVAL : « IL FAUT CHOISIR À LA FOIS DES FILMS QUI RENCONTRENT LEURS ATTENTES ET LEURS RÊVES DE FRANCE, ET DES FILMS QUI VONT LES BOUSCULER »

« La barre est placée haut ! », s’exclame Philippe Platel, directeur du festival mais aussi attaché ­culturel à l’ambassade. Pas le droit de décevoir quand on voit les paillettes dans les yeux de ceux qui s’inscrivent très tôt pour plusieurs séances. Il faut choisir à la fois des films qui rencontrent leurs attentes et leurs rêves de France, et des films qui vont les bousculer. Des films de jeunes réalisateurs et ceux de maîtres comme Claire Denis, Olivier Assayas, Jean-Luc Godard, ­François Ozon. Des films qui seront normalement distribués en Australie – le festival est à la fois test et rampe de lancement – et d’autres dont c’est la seule chance d’exposition à ce public. »

Et puis il faut des stars. Le festival, cette année, en présente trois : Gilles ­Lellouche, impliqué dans deux films (Pupille, comme acteur, Le Grand Bain, comme réalisateur), Zabou Breitman, venue présenter un « work in progress » de son film Les Hirondelles de Kaboul, une master class à Brisbane et une résidence de théâtre à Adélaïde, et enfin le réalisateur Jacques Audiard qui, à l’issue des projections de son film Les Frères Sisters,dialoguera avec le public. « Bien sûr qu’il faut des rencontres et des débats !, insiste James Hewison. C’est là qu’un festival prend tout son sens. Les films tissent des liens entre les cultures. »

Perplexité

Tout le monde se souvient avec émotion de discussions qui ont accompagné en 2018 les projections de 120 battements par ­minute. ­Philippe Mangeot, le ­coscénariste du film, et ancien président d’Act Up, y avait rencontré l’écrivain australien Christos Tsiolkas, également militant au pic de l’épidémie dans les années 1980, ainsi que le musicien Lyle Chan. Une occasion de confronter les perspectives différentes sur l’activisme gay et ses répercussions encore sensibles dans la société.

Cette année ? La directrice des études françaises à l’université de Sydney, également professeure de cinéma, Michelle Royer, attend au moins deux débats, convaincue de la passion de ses élèves sur le sujet. D’abord autour du film d’Ozon Grâce à Dieu, la récente condamnation du cardinal australien Pell pour agression de deux enfants de chœur ayant provoqué un vrai choc en Australie et de multiples controverses dans les « pages opinions » des journaux. Et puis autour du film de Stéphane Brizé En guerre, qui porte sur un conflit social. « Les gilets jaunes, la résistance dans la rue, la notion d’inégalités et d’injustice sociale… Les Australiens ne comprennent pas. C’est aux antipodes de leur façon de fonctionner. Ils détestent le conflit. La collégialité est fondamentale, le consensus, s’accepter et bien s’entendre… Le film permettra de réfléchir sur nos fameuses différences culturelles et sur une France différente de celle souvent sublimée mais pas moins passionnante ! »

Oui, les « gilets jaunes » pourraient bien s’inviter dans le festival, tant la perplexité est grande en Australie sur les images de ­violences et de manifestations hebdomadaires. Mais il y aura aussi La Douleur, le film d’Emmanuel Finkiel qui permettra d’évoquer Marguerite Duras, la version restaurée du film d’Alain ResnaisL’Année dernière à Marienbad. Et puis La Dernière Folie de Claire Darling, de Julie ­Bertuccelli, avec Catherine ­Deneuve. L’actrice demeure la star française par excellence. Une élève de l’université de Sydney a d’ailleurs voulu lui consacrer récemment son mémoire. Elle est allée en France et a pu longuement interviewer son idole. En plein Saint-Germain-des-Prés. La tête dans les étoiles.