La ville dubaïote est envahie par le bruit continu des chantiers de construction des gratte-ciels, mais dans tous les alentours, c’est le calme absolu et apaisant du désert. On y trouve …la prison, lieu de mon aventure avec l’Alliance Française de Dubaï. En cette « Année de la Tolérance » aux Émirats mais aussi du « Dialogue culturel entre nos deux pays », celle-ci s’est engagée dans un nouveau projet en partenariat avec la Direction Générale des Institutions Correctionnelles de Dubaï. Il s’agit de donner des cours de français une fois par semaine à un groupe de résidents* hommes… et la professeure, c’est moi !
Je m’appelle Dounia, et je voudrais vous embarquer avec moi dans cette belle aventure pour vous faire vivre mon expérience dans un endroit qui intrigue tout le monde et dont les hauts murs suscitent l’imagination des uns et des autres au point que l’on se demande…. Mais qu’est-ce qui se passe là-bas ? À quoi ça ressemble ?
Tout a commencé en ce mois de la Francophonie, il y a trois semaines. Une délégation française – le directeur de l’Alliance Française et la directrice du Pôle Langue avec le Consul Général adjoint – m’ont accompagnée le premier jour pour la cérémonie d’ouverture des cours. Les responsables de la prison nous ont accueillis avec la fameuse hospitalité arabe, dont tout étranger fait l’expérience aux Émirats.
Le groupe de résidents auquel j’enseigne est composé de seize hommes âgés de 30 à 40 ans et qui viennent d’horizons différents. Ils sont détenus pour des raisons diverses. Une seule chose les rassemble dans ma classe : mettre de côté leurs histoires personnelles et se lancer dans l’apprentissage d’une langue étrangère. Ils partagent tous l’envie et la volonté d’apprendre. Pour les uns, c’est un moyen de divertissement et d’occuper leur temps libre. Pour les autres, c’est un moyen d’augmenter leurs opportunités professionnelles.
Le premier cours s’est déroulé à merveille. La première découverte de la langue de Molière a suscité beaucoup de questions. Comment prononce-t-on les voyelles ? Pourquoi emploi-t-on le verbe avoir pour dire l’âge et plein d’autres questions que tout apprenant novice peut avoir sur une langue inconnue et totalement étrangère à lui. À la fin du cours, j’ai donné une consigne : Écrivez vos ressentis lors de cette première découverte. J’ai ramassé les feuilles, et leurs mots ont été la pincée de sel qui donne plus de saveur au cours, les « impressions » étant très positives : « une très belle langue », « une langue facile », « le cours est bien », voire même « très bien ». Mais, cerise sur le gâteau, je l’ai trouvée sur la feuille qui portait le mot « joie… »
Dans cette mission qui m’a été confiée, j’espère réussir à semer la motivation pour que ces élèves continuent à apprendre. C’est un défi personnel et professionnel que tout professeur doit relever, d’autant plus que nous ne sommes pas formés à enseigner dans cet environnement, isolé complètement du monde extérieur. C’est aussi et surtout un plaisir d’être engagée dans un pareil projet qui permet de resserrer les liens sociaux et culturels. C’est un moment qui nous rappelle que nous sommes certes des êtres conditionnés, mais au-delà de toutes les conditions et malgré la hauteur des murs, il y a une possibilité de se libérer mentalement, et tout cela grâce à la volonté humaine de partager, d’échanger et de passer un bon moment autour d’une langue étrangère.
Dounia Alsawa Douahji, professeure, Alliance Française de Dubaï
* Le terme résidents est utilisé par les autorités émiriennes pour désigner les détenus.