Amérique latine - Caraïbes

Une politique pédagogique pour Chiclayo, Pérou

Atelier théâtre avec Gabrielle Bernoville ©J. Pommier.

Depuis maintenant plus d’un an l’Alliance Française de Chiclayo sous la direction de Guillaume Oisel a entrepris de réformer son système pédagogique afin d’améliorer sa qualité de formation de la langue française et de la Culture au public péruvien. Pour cela la méthode dite actionnelle fut adoptée, méthode qui se base avant tout selon la définition du CECR (Cadre Européen Commun de Référence pour les langues) sur la considération de l’apprenant comme un acteur social “ayant des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier.” Elle se traduit au sens strict par des mini-projets de classe ainsi qu’un temps de communication réduit tandis qu’au sens large la communication des apprenants est privilégié notamment en les faisant participer à des projets à valeur de responsabilité sociale fait en dehors de la classe. Les apprenants ne subissent plus l’apprentissage de la langue en restant passifs devant le professeur mais au contraire qu’ils apprennent à agir et agissent pour apprendre afin de ne plus être spectateurs de leur propre apprentissage mais les acteurs principaux. Le terme de participatif serait donc plus approprié qu’actionnel.

Dans l’application progressive de cette méthodologie, le modèle et fonctionnement des cours ont été repensés afin d’en appliquer le concept. Le temps de parole du professeur fut drastiquement écourté afin que celui des élèves augmente de façon considérable, ne se limitant plus aux seules activités de production orale. Toutefois ce temps de parole n’est pas octroyé sans raison. Tout acte de parole répond à un objectif afin d’élargir la vision traditionnelle de l’approche communicative qui se résume trop souvent à la tâche finale (la réalisation d’un exercice par exemple) afin de se concentrer plus sur le processus et les actions réalisées menant à ce résultat final. Pour cela la salle de classe devient le temps du cours un espace d’immersion linguistique voulu total atteint notamment par le bannissement de la langue natale des apprenants. Un deuxième point est l’importance des relations et des échanges entre les apprenants, le professeur n’est plus l’interlocuteur privilégié de chaque étudiant mais c’est justement les autres étudiants qui le deviennent. Le titre de professeur ou enseignant de FLE correspond donc dans ce cas présent à celui du tuteur.

Du fait de sa récente application et de pratiques anciennes bien ancrées, l’approche actionnelle a dû mal à pleinement s’intégrer dans la façon d’enseigner des professeurs locaux. Par conséquent la méthodologie traditionnelle et unilatérale professeur-étudiant persiste encore avec certains enseignants. Toutefois, si elle a des difficultés à s’intégrer à l’intérieur des salles de classe, c’est avec grand succès que cette nouvelle méthode s’est adaptée en dehors de celles-ci avec la mise en place d’une pédagogie de projets. Cette dernière prend la forme de deux projets à réaliser par mois pour les apprenants. L’un est littéraire et organisé avec la médiathèque tandis que le second est basé sur la culture en général. Ces projets permettent à la fois aux apprenants de pratiquer à l’écrit comme à l’oral le français mais aussi de s’immerger dans le monde culturel à travers de nombreux et variés supports pour explorer non seulement la culture française mais aussi locales.

En ce qui concerne le projet littéraire, les étudiants empruntent et lisent un livre ou une partie afin par la suite de réaliser une fiche littéraire (obligatoire pour les apprenants de niveau A2 et plus). De plus la réalisation de cette fiche est suivie en fin de mois d’une Rencontre Littéraire où les apprenants de tous niveaux peuvent se rencontrer et discuter de leurs lectures ainsi que participer à des activités ludiques. Si le but premier est parfaire sa maîtrise du français à l’oral, la forme que prend cet exercice permet également de développer son esprit critique, sa culture littéraire à travers les livres lus par les autres étudiants mais également sa sociabilité. D’autres activités sont en cours d’élaboration, notamment une qui utiliserait l’exercice des joutes verbales comme le font les moines tibétains.

Le thème du projet culturel lui varie tous les mois afin de susciter la curiosité des étudiants pour de nombreux aspects de la culture. Une fiche pédagogique est également demandée en plus de la participation à l’évènement, afin de mobiliser les quatre compétences demandé par le CECR. Si les projets sont généralement tournés vers l’exploration de la culture française, ils permettent également de découvrir les cultures locales permettant d’effectuer un échange interculturel entre la culture française et les différentes cultures présentes au Pérou. Les récents projets ont eu pour différents thèmes la gastronomie, l’archéologie, le sport, la photographie, le cinéma ou encore le théâtre pour celui à venir. Les meilleurs projets du mois, que cela soit pour celui de la culture tout comme celui de la médiathèque, sont ensuite publiés sur le blog des apprenants afin de valoriser leur travail tout en faisant la promotion des artistes du coin, des sites de la région et nos partenaires sur le long terme (https://agendafchiclayo.com/).

La méthodologie actionnelle ou participative s’implante donc tranquillement mais sûrement à Chiclayo à l’intérieur et à l’extérieur des salles de classes et prend de plus en plus d’ampleur dans la politique pédagogique qui est menée. Ainsi si les projets étaient en 2017 gratuits car expérimentaux et en constant perfectionnement, ils seront en 2018 inclus dans le prix global payé à l’Alliance, de même que les ateliers et droits de passation DELF. De plus cette pédagogie a vocation à s’exporter notamment dans les établissements partenaires. En effet l’actuel directeur de l’Alliance, Guillaume Oisel, a été invité à appliquer cette méthodologie de projets à l’Université Nationale Interculturelle d’Amazonie pour la valorisation des langues de la région. Démontrant ainsi le bel avenir que dispose cette pédagogie de projets devant elle.

Antoine Picard, assistant de direction de Sciences Po Toulouse en collaboration avec Guillaume Oisel, directeur de l’Alliance Française de Chiclayo.