Pour sensibiliser le public à la grande conférence sur le climat – COP 21 – qui se tiendra à Paris début décembre, l’Alliance française de Dubaï organise mensuellement des événements qui donnent la parole à différents spécialistes – artistes, politiques, scientifiques – tant français que émiriens. Nicolas Mingasson, photographe et écrivain français, membre fondateur de l’Observatoire International de l’Arctique, présente pour la première fois avec l’Alliance française de Dubaï son exposition « Les Sentinelles de l’Arctique » en partenariat avec le French Business Council. Entre rencontres, voyages et questions climatiques, le point de vue de ce voyageur du froid nous éclaire aussi sur notre mode de vie et la façon d’appréhender la future COP21, si importante pour l’avenir des populations des zones sensibles.
- AF Dubaï : Comment les Dolganes, ce peuple nomade de Sibérie, ont-ils vécu votre « intrusion » au sein de leur famille, dans leurs coutumes ?
Nicolas Mingasson : Il n’y a pas eu véritablement d’intrusion chez les Dolganes car j’ai appris à les connaitre au cours d’expéditions dans la région. Chaque famille a un regard différent sur un étranger qui fait l’effort de venir chez eux. Pour certains celui-ci représente avant tout une source possible de revenus, pour d’autres il est une fenêtre qui s’ouvre vers un monde qu’ils ne connaissent pas.
En ce qui concerne l’intégration, elle passe avant tout par savoir donner de soi-même, parler de sa propre vie, de sa famille, de ses enfants… Il faut ensuite savoir mettre la main à la pâte, en toute simplicité. Savoir aller chercher la glace pour l’eau, faire le bois, savoir jouer avec les enfants quand il y en a. Je crois aussi important de ne pas jouer la carte d’un mimétisme forcément surfait. Vivre au sein d’une famille Dolgane ou au sein d’une unité de combat ne fait pas de soi un éleveur de rennes ou un combattant !
- AF Dubaï : Quel message désirez-vous transmettre avec ces photos ?
NM : Je dois admettre que la photographie est en premier lieu un moyen pour moi de parcourir ces régions de l’Arctique, de rencontrer ces populations. L’envie de partager vient dans un deuxième temps avec cette idée que la démarche serait par trop égoïste si je conservais ces expériences exclusivement pour moi. Je suis par exemple extrêmement choqué par les scientifiques qui ne s’imposent pas le devoir de partage de leurs connaissances. C’est un devoir que nous avons que de partager avec celles et ceux qui n’ont pas l’opportunité de voyager.
Si message il doit y avoir, c’est donc sans doute celui-là : aller puiser et montrer les expériences qui peuvent rendre autrement l’occident plus ouvert à d’autres possibilités. Ces peuples de l’Arctique ont cette intelligence pratique, ce sens de la solidarité parce que confrontés à des conditions de vie extrêmes qui ne leur laisse d’autres choix. Ils ne sont pas nés meilleurs que nous, ce sont leurs conditions de vie qui les a obligés à développer une intelligence qui leur permet de vivre en harmonie avec leur environnement.
Ce à quoi j’aspire me demandez-vous ? Que mon travail invite à réfléchir à des thématiques aussi fondamentales que la sobriété, la solidarité, la modestie, la place des anciens, le respect, notions qui seules nous permettront, je crois, de trouver une voie de sortie aux crises que nous traversons, qu’elles soient environnementales, sociales ou économiques.
- AF Dubaï : Pensez-vous que la manière de vivre dont témoignent vos photos soit menacée ? Qu’est-ce-que chacun d’entre nous pourrait faire pour protéger notre environnement ?
NM : Il n’est pas possible, selon moi, de répondre à cette question par « oui » ou par « non ». De tout temps l’humanité s’est transformée, les conditions de notre existence ont changé. Bien sûr, dans de nombreuses régions les transformations climatiques sont dramatiques et il ne s’agit en aucune manière de remettre cela en cause. Mais peut-être faut-il avoir un discours plus nuancé. Certains, dans l’Arctique ou ailleurs, voient se profiler, grâce au réchauffement climatique, de nouvelles possibilités techniques ou économiques, dans le Yamal, les éleveurs se sont organisés pour faire face à l’assèchement de la toundra, allant vers une intelligence et une solidarité nouvelle.
Mais il y a d’autres dangers pour ces peuples que le climat ! Au Canada, par exemple, les Inuits et particulièrement leurs jeunes, paient le prix fort pour les ravages causés par l’alcool et la drogue. Mais il est sans doute moins dérangeant et plus porteur pour nous, occidentaux, de parler de réchauffement climatique que de ces plaies sociales.
Ensuite, les grosses industries (pétrole, gaz, exploitation minière) constituent à mon sens la principale menace pour ces populations. L’un des enjeux majeurs pour ces populations est donc de former une élite intellectuelle formée dans les meilleures universités.
Peut-être faut-il aussi se demander ce que nous pouvons faire pour nous aider nous ? Cela passe par mille gestes de tous les jours, cela passe par regarder comment nous vivions il n’y a pas si longtemps et à quel point, en 30 ans, notre mode de consommation est devenu fou et impactant. Nous ne changerons sans doute pas les choses sans renoncements.
- AF Dubaï : En tant que voyageur concerné de près par les questions d’environnement qu’attendez-vous de la COP 21 ?
NM : J’aimerais entendre nos dirigeants, qu’ils soient politiques ou économiques, dire enfin que la machine, notre machine occidentale, s’est emballée. Que oui, nous vivons au-dessus de nos moyens. Que oui, nous allons devoir faire des efforts, devoir renoncer à du confort inutile. Nous vivons dans des maisons trop grandes, trop chauffées. Nos voitures sont souvent inutiles, l’éclairage urbain est délirant. Nous pourrions dresser une liste sans fin…
J’aimerais que nos politiques aient le courage de mettre en place des législations extrêmement contraignantes. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut savoir interdire, légiférer et que l’éducation seule ne suffit pas.
J’ai le sentiment d’entendre depuis tant d’années les mêmes discours, de voir les mêmes films, les mêmes images, de lire les même articles pour nous expliquer que la banquise fond, « que la maison brûle ». Je ne sais pas si je suis optimiste car ces discours, tant de fois rabâchés, sont devenus inaudibles, transparents.
- AF Dubaï : Quelle sera votre prochaine expédition ?
NM : Rien de bien défini pour l’instant. Des projets se dessinent alors que je suis accaparé par l’écriture d’un livre sur le deuil des familles de soldats français tués en Afghanistan. Mon regard porte vers l’Afghanistan mais aussi vers le Groenland, la Louisiane et la Bosnie.
Article paru dans TIME OUT Dubai >>